Dans l'Antiquité grecque prédomine la thèse d'Aristote selon laquelle le monde est fini: il constitue une immense sphère sur laquelle sont incrustées les étoiles et qui tourne sur elle-même. La Terre en est le centre. Cette thèse paraît conforme à ce qu'on peut observer du ciel à l'œil nu.

À partir de l'époque moderne (XVIIe siècle), l'héliocentrisme bouleverse notre représentation du monde: la Terre tourne autour du Soleil, qui est lui-même une étoile parmi d'autres. L'univers semble s'étendre de part et d'autre sans limite...

Au Ier siècle av. J.C., le philosophe romain Lucrèce, disciple d'Épicure, tente de démontrer par un raisonnement logique que l'espace est infini.

Supposons maintenant limité tout l'espace existant...

Lucrèce commence par supposer vraie la thèse qu'il veut réfuter: c'est un raisonnement par l'absurde destiné à démontrer que cette thèse conduit à des contradictions.

Si quelqu'un dans son élan s'avançait jusqu'au bout de son extrême bord, et que de là il fit voler un trait [une flèche] dans l'espace ; ce trait balancé avec grande vigueur, préfères-tu qu'il s'en aille vers son but et s'envole au loin, ou es-tu d'avis qu'il peut y avoir un obstacle pour interrompre sa course ? C'est une de ces deux hypothèses qu'il faut choisir et adopter; or, l'une et l'autre te ferment toute retraite, et t'obligent à reconnaître que l'univers s'étend affranchi de toute limite. Car soit qu'un obstacle extérieur empêche le trait d'atteindre son but et de s'y loger, soit qu'il puisse poursuivre sa course, le point dont il s'élance n'est pas le terme de l'univers.

Si l'espace est limité et qu'on se place à sa limite, et si de là on envoie une flèche, de deux choses l'une:
- Ou bien la flèche ne part pas parce qu'elle est arrêtée par un obstacle qui se situait plus loin,
- Ou bien elle s'élance.

Dans les deux cas, le point dont la flèche a été lancée n'est pas la limite de l'univers.

Sans cesse je te poursuivrai de cet argument, et partout où tu placeras l'extrême bord du monde, je te demanderai ce qu'il adviendra du trait. Il arrivera que nulle part ne pourra se dresser de borne, et que sans cesse de nouvelles échappées prolongeront à l'infini les possibilités de s'enfuir.

Lucrèce, De la nature des choses